Azote et cultures

Les différends entre agriculteurs, citoyens et agences d’état se concentrent autour des débats sur la qualité de l’eau et l’agriculture. Les principales sources de pollutions diffuses ciblées par les pouvoirs publics sont les pesticides et les nitrates d’origine agricole.

C’est pourquoi le sujet intéresse toujours autant le monde agricole et que mardi 11 septembre se tenait la journée technique "Azote et cultures" organisée par les partenaires dans le cadre du PAEC de l’agglomération lyonnaise.

En effet, l’un des enjeux prioritaires pour l’Est lyonnais est la préservation de la qualité de l’eau des aires d’alimentation de captage d’eau potable. Depuis 2009, on observe une tendance baissière, plus ou moins marquée selon les captages, de la concentration en nitrates dans les eaux des captages.

Evolution des concentrations en nitrate sur différents captages d’eau potable de l’Est lyonnais
Source : Loïc Paquier - Métropole de Lyon

La remontée des concentrations observées en 2013 et 2014 s’explique par un niveau de nappe record lié à une recharge importante. Cette dernière a favorisé le lessivage des sols et donc des nitrates. Deux captages présentaient des concentrations supérieures au seuil de potabilité (50 mg/l) rendant l’eau non distribuable. Depuis fin 2014 pour le captage de l’Afrique et début 2018 pour le captage d’Azieu, les concentrations sont retombées sous la limite.
Cependant l’ensemble des AAC présentent toujours des valeurs élevées au regard de la valeur guide de 25 mg/l [1].

La baisse globale des concentrations en azote peut s’expliquer par plusieurs facteurs :

  • Changement de pratiques : diminution des épandages (organiques et minéraux), couverture des sols, introduction de légumineuses, etc.
  • Baisse de la recharge de la nappe et donc du lessivage
  • Urbanisation : diminution des surfaces fertilisées

Les légumineuses et la couverture des sols ont notamment été abordées dans le cadre de la fuite des nitrates vers les eaux.

Légumineuses : absorption et restitution d’azote

Philippe Lafleuriel (Oxyane) nous a montré au travers de résultats d’essais [2] que réduire la fuite des nitrates par l’implantation de couverts d’interculture était possible et même facile.
L’azote se retrouve alors stocké dans les parties aériennes du couvert. Les résultats nous montrent qu’on peut stocker jusqu’à 25kgN/tMS [3] produite.

Finalement, il est facile de puiser et stocker. En revanche, il est plus compliqué de restituer cet azote à la culture suivante. Il est apparu que parmi les couverts possibles, les légumineuses pures [4] ne sont pas les couverts qui stockent le plus mais qui restituent le mieux l’azote à la culture suivante (ici : exemple du maïs).

Source : Terre & Eau Isère

On observe même des quantités restituées supérieurs aux quantités stockées. Cela peut s’expliquer par le fait que l’azote contenu dans les parties aériennes ne représente pas tout l’azote contenu dans les légumineuses (système racinaire). On estime que pour 3tMS de légumineuses produites, avec une destruction après janvier, 30uN seraient disponibles pour le maïs suivant.

Pourquoi la restitution est-elle la phase la plus compliquée ?

En effet, il a été démontré qu’une CIPAN aura une forte fourniture d’azote sur le maïs qui suit si :

  • elle est composée en dominante de légumineuse sur sa phase sortie hiver - printemps
  • sa croissance est importante
  • elle est détruite suffisamment proche du semis du maïs suivant, soit 1 mois à 1,5 mois avant le semis du maïs, car elle restitue rapidement l’azote un fois détruite

Cependant, une destruction tardive pose alors la question de l’impact du couvert sur la ressource en eau. Philippe Lafleuriel a ainsi présenté une analyse fréquentielle climatique se proposant d’évaluer le risque d’une date de destruction trop tardive d’une CIPAN sur la recharge en eau du sol pour l’implantation de la culture suivante (ici : maïs).

Estimation de la prise de risque à conserver une CIPAN longtemps, sur la réserve en eau à l’implantation du maïs (10/04)
Source : Philippe Lafleuriel - Oxyane

La méthode dévaluation du risque de l’état hydrique du sol à l’implantation du maïs se base sur :

  • l’établissement d’un bilan hydrique partant du 1er septembre à la date de destruction de la CIPAN (évapo-transpiration maximale : ETM)
  • un bilan hydrique se poursuivant sur sol nu de la date de destruction du couvert au semis du maïs (calé sur le 10 avril).

24 années climatiques [5] nourrissent l’étude de 1995-1996 à 2017-2018. Les années où la réserve n’est pas reconstituée au 10 avril (à 10 mm près) sont comptabilisées.
Le seuil acceptable de 2 années sur 10 maximale avec décharge de la réserve correspond donc à 4-5 années sur 24. [6]

On observe ainsi que plus la réserve utile (RU) du sol est importante au départ, plus l’on prend de risque à détruire la CIPAN tardivement. Cela s’explique par le fait que la réserve utile mettra plus de temps à se reconstruire. En moyenne, pour une RU initiale de 70mm, on ne prend pas de risque (ou 1 année sur 10) à détruire la CIPAN au 1er mars. Tandis que pour une RU initiale de 140mm, on prend des risques 2 à 4 années sur 10 à la détruire à la même date. [7]

Positionnement dans le temps des apports azotés

Après l’apport d’azote naturel dans la rotation via les légumineuses, il a été question des apports minéraux d’azote. Jean Pauget (Arvalis) nous a ainsi rappelé que la fertilisation d’une culture doit être basée sur les besoins de la dite culture et non pas sur un objectif de rendement. En effet, l’augmentation de la fertilisation, sur blé, permettait une augmentation du rendement, jusqu’à un certain point d’inflexion [8] à partir duquel le rendement est pénalisé tandis que les reliquats dans le sol augmentent.

Il nous a également rappelé qu’apporter trop d’azote trop tôt (40uN/ha max), sur un blé, pouvait fortement le pénaliser en favorisant :

  • le tallage et donc le risque de verse et la consommation en eau, rendant la culture plus sensible à la sécheresse ;
  • le risque de maladies, notamment l’oïdium ;
  • les adventices.

Il a ajouté que cet apport au tallage pouvait être décalé, voire supprimé sur sols profonds avec RSH [9] supérieur à 50uN et une bonne structure pour favoriser l’enracinement.

Selon Jean Pauget, il est important de prendre également en compte l’objectif de protéines dans la fertilisation. En effet, tous les apports ne vont pas jouer sur les mêmes résultats techniques (rendement et taux protéique). Il a été démontré, par exemple, que le 3ème apport, sur blé, joue un rôle particulièrement important sur le taux protéique. En effet, de nombreux essais (Arvalis) on montré qu’en retardant cet apport on pénalisait le rendement (t/ha) mais qu’on favorisait le taux protéique.

Cependant, le facteur climatique n’est pas à oublier. En effet, il a été montré qu’un apport d’azote (ex. ammonitrate) suivi d’un climat sec (au moins 23 jours consécutifs sans pluie) pouvait perdre jusqu’à 12% d’efficacité au cours de la montaison.

Positionnement spatial des apports azotés : Agriculture de précision et modulation intraparcellaire

Depuis une vingtaine d’années, grâce à la technologie, et notamment au GPS, il est possible de moduler la fertilisation à l’échelle d’une parcelle en prenant en compte :

  • l’hétérogénéité du sol ;
  • l’hétérogénéité des besoins de la culture.

Selon Arvalis [10] :

  • 50% des parcelles en blé sont modulables pour le 3ème apport ;
  • 85% des parcelles en colza sont modulables pour le 2ème apport.

La modulation peut alors se faire manuellement (15% des parcelles en blé et 40% en colza) ou automatiquement (35% en blé, 45% en colza) en fonction de l’hétérogénéité de la parcelle. Plus l’hétérogénéité de la parcelle est importante, plus la modulation manuelle est difficile.

Des essais menés par Arvalis sur différents systèmes de modulation montrent qu’en moyenne, sur une même parcelle, la quantité d’azote apportée est plus faible avec la modulation. Ils montrent également un gain de 3q/ha sur les parcelles les plus variables et les mieux structurées.

L’agriculture de précision est donc un outil intéressant pour la préservation de la qualité de l’eau. C’est pourquoi un groupe d’échange lui sera dédié au sein du PAEC de l’agglomération lyonnaise.

Notes

[1Valeur fixée par l’Europe, au dessus de laquelle un travail de protection de la ressource est à engager

[2menés par Arvalis et par la chambre d’agriculture de l’Isère, le groupe dauphinoise, la Maison Chola et les Ets Bernard

[325 kg d’azote par tonne de matière sèche

[4Rappel : il est autorisé en région AURA, même en zone vulnérable, d’implanter des CIPAN de légumineuses pures si celles-ci sont conservées au moins jusqu’au 1er mars

[5source plaine de Lyon St Exupery ou Lyon Bron selon les années

[6La fourchette de nombre d’années non conformes tient à un calcul avec 2 hypothèses :

  • calcul minimal : ETM = ETP sous couvert - ETM = 0 sous sol nu
  • calcul maximal : ETM = 1.2 x ETP sous couvert - ETM = 0.25 x ETP sous sol nu

[7Résultats à ne pas généraliser car liées aux données climatiques locales

[8dépend de la variété et constitue une plage de conseil pour une fertilisation adaptée

[9Reliquats Sortie Hiver

[10Résultats issus d’une étude nationale ARVALIS, 2007