Bien que la jonction semble aujourd’hui aller de soi, écologie et sciences agronomiques ont longtemps évolué en parallèle jusqu’à se déconsidérer. Malgré des recoupements significatifs, écologie et sciences agronomiques sont des disciplines scientifiques distinctes. Chacune dispose de ses propres communautés (scientifiques, praticiens), de ses formations et de ses journaux spécialisés.
Objet d’étude
Leur différence principale réside dans leur objet d’étude. Les écosystèmes naturels pour l’écologie et les écosystèmes gérés par l’humain en vue d’une production pour les sciences agronomiques. Ces-derniers constituent les agro-écosystèmes.
L’agroécologie fait de ces agro-écosystèmes son objet d’étude, comme les sciences agronomiques, mais dans une conception élargie, allant du champ au système alimentaire global et intégrant les dimensions environnementales et socio-économiques.
Quelle portée ?
La seconde différence entre écologie et sciences agronomiques est leur portée théorique ou appliquée. L’écologie est reconnue comme une discipline plutôt théorique et fondamentale qui cherche à comprendre et décrire la Nature ; même si des applications de l’écologie existent, par exemple dans la conservation d’espaces naturels. En revanche, les sciences agronomiques visent l’opérationnel et l’application avec l’objectif d’augmenter la production. En d’autres termes, l’écologie est une science descriptive et prédictive alors que les sciences agronomiques se veulent normatives et prescriptives en définissant la manière dont les systèmes agricoles doivent fonctionner pour optimiser certaines fonctions écosystémiques [1] et principalement la productivité.
L’agroécologie a la volonté d’être une discipline appliquée mais élargissant le propos aux multiples dimensions de la durabilité. Elle se veut prescriptive mais avec un but plus large que celui des sciences agronomiques, c’est-à-dire la durabilité des agro-écosystèmes et des systèmes alimentaires. Cette durabilité intègre productivité, stabilité, résilience, maintien de la qualité environnementale, acceptabilité sociale, équité, profitabilité économique. Ces attributs sont recherchés par l’exploration des bénéfices d’une biodiversité accrue dans les systèmes agricoles et d’une justice améliorée dans les systèmes alimentaires.
L’agroécologie : créer du dialogue
Les écologues critiquaient le fait que les agro-écosystèmes représentaient une extrémité en termes de biodiversité, proche de zéro, et opéraient à des niveaux nutritionnels plus élevés que les écosystèmes naturels grâce à la fertilisation. A leurs yeux, les sciences agronomiques étaient non pertinentes pour comprendre les écosystèmes naturels. Parallèlement, les agronomes considéraient les modèles de l’écologie inadaptés à la compréhension des systèmes agricoles et à la vocation prescriptive de leur science. L’agroécologie a permis de réaliser une médiation entre ces deux disciplines sous la forme d’un dialogue interdisciplinaire qui mobilise également sciences sociales, économiques ou politiques. Ce dialogue a permis de valoriser les concepts de l’écologie en vue d’une production agricole c’est-à-dire en mobilisant les écosystèmes au-delà des limites du champ et de la ferme. L’utilisation des indices d’association (LER [2] par exemple) a été déterminant dans ce rapprochement, notamment pour clarifier les mécanismes derrière les relations entre biodiversité et fonctions écosystémiques .
Les apports respectifs de l’écologie et des sciences agronomiques dans l’agroécologie ont permis de dégager des objectifs clairs pour les systèmes agricoles. Ils doivent entre autres être productifs et stables, contrôler les maladies et ravageurs et recycler les nutriments. L’agroécologie génère cet échange interdisciplinaire entre écosystèmes et agro-écosystèmes et inversement. Ce dialogue interdisciplinaire doit passer par plusieurs étapes pour être constructif et faire émerger une nouvelle compréhension des choses.
Il doit permettre de :
- Clarifier les définitions, les affirmations et les hypothèses posées sur le réel.
- Accepter les ignorances de chacune des disciplines et les limites de leurs domaines d’études.
- Accepter d’aborder les choses avec différentes méthodes et approches, identifier leurs utilités et leurs limites et envisager de les intégrer dans des études communes afin de produire de nouvelles connaissances et de revisiter les concepts.
- L’émergence de l’agroécologie a permis, après plusieurs décennies de spécialisation des domaines de recherche, de mettre en lumière l’importance de l’interdisciplinarité dans l’évolution des sciences et la production de connaissances.