Quel lien entre biodiversité et productivité ?

Un des principes structurant de l’agroécologie est la prise en compte et la promotion de la biodiversité dans les systèmes agricoles avec l’ambition sous-jacente de les rendre plus stables et productifs.

Durant les 20 dernières années, la communauté scientifique a largement débattu de ce postulat émis dès les années 50 : "La diversité augmente la stabilité". Des expérimentations de long terme initiées à la fin des années 90 en Europe et aux Etats-Unis ont permis de valider empiriquement l’affirmation sur la base de communautés d’espèces contrôlées. Cependant, ces expérimentations étaient à l’initiative d’écologues et n’intégraient pas la dimension productive de l’agriculture. Par ailleurs, ces études avaient vocation à structurer des choix de politiques publiques générant de nombreuses critiques sur la méthodologie et les conclusions qui en étaient tirées.

Une conférence qui s’est déroulée à Paris en 2000 (Biodiversity and Ecosystem Functioning : Synthesis and Perspectives) a permis de reposer les bases du débat : "Un grand nombre d’espèces est nécessaire pour maintenir les fonctions écosystémiques [1]". Toutefois la question de savoir si le maintien de ces fonctions était lié à la sélection d’espèces dominantes ou à une réelle complémentarité des espèces n’était pas tranchée. A la fin des années 2000, une série de méta-analyses [2] a validé l’hypothèse de la complémentarité des espèces dans le maintien de la stabilité des écosystèmes.

Pendant de nombreuses années, les écologues ont toutefois laissé de côté la question des associations de cultures et de leur productivité dans les systèmes agricoles. Il s’agit en effet principalement d’associations entre 2 cultures, considérées par les écologues comme non représentatives du fait de leur simplicité et de la disponibilité élevée en nutriments en situation fertilisée.

Cependant, les agronomes ont montré que même en associant un petit nombre d’espèce il est souvent possible d’atteindre des niveaux de production supérieurs à la moyenne de productivité des cultures pures, voire de dépasser le rendement de la culture pure la plus productive. On parle dans le premier cas de sur-rendement non-transgressif et dans le second de sur-rendement transgressif. La figure 1 ci-dessous (en anglais) illustre ces phénomènes.

Figure 1 : Graphique représentant les concepts de sur-rendement non-transgressif (zone grise non-hachurée) et de sur-rendement transgressif (zone grise hachurée) dans le cas d’une association à deux composantes : species 1 et species 2. Dans cette situation, l’association est plus intéressante que la monoculture de l’espèce 2 en termes de productivité à l’hectare.

Cet avantage transgressif de l’association est donc recherché pour maximiser la production de biomasse utile tout en apportant de la stabilité dans le système. Il est fortement dépendant de l’identité des espèces associées mais pas de leur nombre. On privilégiera donc plutôt la complémentarité fonctionnelle dans le temps et l’espace à la diversité. L’exemple le plus connu est l’intégration de légumineuses fixatrices d’azote atmosphérique dans des associations à bases de graminées, qui elles dépendent du stock d’azote du sol pour leur croissance. Les conditions d’exploitation de l’association par l’agriculteur et les conditions pédo-climatiques jouent aussi des rôles déterminants dans l’atteinte d’un sur-rendement transgressif.

Au-delà de la simple production de biomasse utile, les associations de cultures rendent de nombreux services écosystémiques [3] aux agriculteurs leur permettant de gagner en autonomie et de réduire leur impact sur l’environnement. Ces services restent malgré tout très liés à la production de biomasse. Ainsi, une couverture du sol plus efficace et/ou sur une plus longue période permet de contrôler naturellement les adventices. De même, la fragmentation du peuplement végétal par les différentes espèces qui composent l’association perturbe la progression des ravageurs et maladies. Enfin, la sollicitation de différents réservoirs de nutriments par les différentes espèces associées permet de rendre le peuplement plus résilient face aux aléas abiotiques. [4]

La promotion de la biodiversité dans les agro-écosystèmes reste un pilier de l’agroécologie qui trouve sa justification pour des raisons avant tout utilitaires (stabilité et productivité de l’agro-écosystème). Cette biodiversité doit s’appréhender aussi bien dans les limites du champ cultivé qu’à ses marges.

Toutefois les systèmes diversifiés présentent aussi des intérêts non quantifiables liés à l’esthétisme (diversité et beauté des paysages) ou au patrimoine (terroirs) qui ne sont pas à négliger et qui ont toute leur place dans une définition élargie de l’agroécologie.

P.-S.

BIBLIOGRAPHIE
Picasso, D.V.D., 2017. The “Biodiversity–Ecosystem function debate” : An interdisciplinary dialogue between Ecology, Agricultural Science, and Agroecology. Agroecology and Sustainable Food Systems 0, 1–10. doi:10.1080/21683565.2017.1359806

Wendling, M., Büchi, L., Amossé, C., Jeangros, B., Walter, A., Charles, R., 2017. Specific interactions leading to transgressive overyielding in cover crop mixtures. Agriculture, Ecosystems & Environment 241, 88–99. doi:10.1016/j.agee.2017.03.003

Notes

[1Somme complexe de processus et d’interactions qui permettent de caractériser le fonctionnement d’un écosystème.

[2Démarche scientifique combinant les résultats d’une série d’études indépendantes sur un problème donné et permettant une analyse plus précise des données par l’augmentation du nombre de cas étudiés afin de tirer une conclusion globale.

[3Bénéfices que les êtres vivants retirent des écosystèmes via leurs fonctions écosystémiques.

[4Non-vivant, en parlant d’un élément d’un écosystème ou d’un processus biologique (par exemple, l’eau, l’air, la terre, la température).